Hermine Bourgadier, les caprices de la défaite
Par Michel Poivert le lundi 8 septembre 2008, 21:55 - Expositions - Lien permanent
Hermine Bourgadier propose trois brefs ensembles de photographies chez Schirman & de Beaucé à Paris. L’artiste continue de s’intéresser à son thème fétiche, l'univers des jeux, qu’elle explore depuis quelques années avec, notamment, les turfistes, les combats de coq et les jeux vidéo dont la série intitulée Street fighters qui l’a fait connaître en 2006. Adepte d’une forme d’anthropologie poétique, l’artiste sonde le rapport entre l’espérance individuelle et les formes ritualisées du risque. Il faut pour cela des images du monde tel qu’il s’organise dans l’esprit de ceux qui croit en leur chance. Des images d’espoir et d’échec.
Les catcheurs forment une séquence presque minimaliste. Rien n’est dit de l‘action de ces athlètes, le cadre compose au plus près des corps. Au sol, souvent en dehors du ring, ils semblent abandonnés par la vie. Des scènes de crime, en quelque sorte. Rien de sanglant toutefois, pas de sueur vraiment, mais des rougeurs et de drôles de postures. Disgracieuses et stables : des dormeurs brutalement éclairés mais qu’aucune lumière n’éveille. Nous n’y sommes pas habitués, le sportif est d’usage en action ou dressé sur un podium, jamais privé de sa condition de héros. Les chutes ici n’en sont toutefois pas, les corps posent mais en conservant la mémoire des défaites régulières. L’abandon des forces fait enfin penser au temps qui suit la jouissance et à l’indifférence aux regards qui est la marque impudique du désir assouvi.
Se jeter à terre est une pratique faussement guerrière et pas vraiment sportive, quelque chose qui tient plutôt du caprice et de la feinte. En consacrant ses images au catch, Hermine Bourgadier sait bien qu’elle y trouve ce juste milieu entre le combat sportif et le spectacle. Elle y retrouve aussi un grand motif, celui du gisant moderne qu’invente Manet avec son torero mort. Inutile de dire qu’elle nous détourne des facilités expressionnistes que peut offrir cette iconographie sportive, pour lui opposer une manière de sérieux qui prend le thème du catch à rebrousse poils. Pas de grimace et de cagoule extravagante (mais n’oublions pas le magnifique travail photographique du Mexicain Lourdes Grobet), seulement la silhouette tragique que les points de vue semblent faire glisser ou basculer légèrement. Du coup, les athlètes deviennent d’authentiques acteurs dramatiques, leur fausse dépouille se trouve débarrassée de tout procès en artifice, les voilà défaits : la représentation a quitté la comédie pour le drame. Barthes ne décelait-il pas un point commun entre tragédie grecque et sport moderne en parlant d'une identique « extériorité des signes » ? Ainsi, les corps pour la plupart parés de leurs maillots à la manière d’étendards sont comme des symboles foulés aux pieds.
Il suffit de descendre d’un étage pour trouver le pendant cérébral de cette théâtralité du jeu. La série des vues de concours de jeux vidéo montre d’impressionnantes salles où des écrans diffusent des visages concentrés qu’observe avec recueillement une foule de spectateurs. La compétition vidéo n’a pas encore gagné la renommée des concours de jeux d’échec, si bien que l’on ne comprend pas tout à fait ce qui mobilise autant les participants dans cette drôle de cérémonie. L’univers est saturé de technologie, d’écrans et de fils, de casques et de micros, on voit associée pour la première fois une ferveur collective à ce que l’on croit trop souvent n’être qu’une pratique solitaire. Le caractère factice des jeux vidéo, et partant du « virtuel », se trouve incarné dans cette liturgie baignée d’une lumière bleue, parsemée de visages jeunes et studieux. Hermine Bourgadier réussit à dégager la sensualité des acteurs au milieu de ces grandes machines. C’est un monde de jeux de société en pleine crise de croissance.
La dernière partie de l’exposition rapporte quelques perles de Chine, comme l’amusante vue d’un mail de Shangaï reconstituant le grand canal de Venise. Décors de cinéma ou de théâtre, kitsch à souhait – comme ce grand ciel peint parsemé de détecteurs de fumée –, ce lieu n’en est pas moins aimable. La reconstitution est tellement soignée qu’elle vaut une mauvaise peinture. Ce à quoi rend hommage cette photographie. À ce virtuel de carton-pâte répond une vue d’entraîneurs de chiens de course. Le groupe apparaît tout d’abord menaçant, pourtant l’univers du pari traditionnel sur les courses de chien est en train de disparaître en Chine. Ce que traduit bien le caractère authentique de ces hommes ingrats tenant leurs chiens muselés. Eux-mêmes jouent une fin de partie. La dernière image s’élève dans une nuit qui montre un stade comme un théâtre vide et résume bien l’ensemble de l’exposition : un univers finalement clôt, avec ses décors et ses acteurs, sa technologie et ses archaïsmes. Le nôtre, pour autant que l’on ait jamais cru en la chance.
Hermine Bourgadier « Nouvelles photographies », galerie Schirman & de Beaucé, 7bis-9 rue du Perche, 7003 Paris, jusqu’au 31octobre. WWW.schirman-debeauce.com
Illustration : H. Bourgadier, Catcheur, 2008, tout droit réservé.
Commentaires
Bravo, quelle image et quel commentaire ! J'y cours, à l'exposition, derechef… après avoir tant aimé au Mac de Lyon les images des joueurs vidéo.
Bise
P.H.
Etonnnante et révélatrice photo du catcheur efféminé Adrian Street et de son père mineur de fond dans cette exposition:
www.palaisdetokyo.com/fo3...