Première édition du Prix Pictet
Par Cédric W. Pernot le vendredi 31 octobre 2008, 19:32 - Expositions - Lien permanent
Courtesy Prix Pictet, 2008. Chris Jordan, Refrigerator on Franklin Avenue, New Orleans . Series: In Katrina's Wake: Portraits of Loss from an Unnatural Disaster. New Orleans.TDR
Evènement suffisamment remarquable pour être mentionné, le Palais de Tokyo présente du 29 octobre au 8 novembre les 18 finalistes du Prix Pictet, sélectionnés par un comité de 49 experts, de pays différents, réunis pour mettre en valeur plusieurs travaux photographiques sur le thème de l’eau et du développement durable.
Au-delà de la politique de sensibilisation et de l’engagement, issu d’un partenariat prometteur entre une banque privée, la ''Pictet & Cie" , et un magazine économique, le "Financial Times", les organisateurs ont souhaité ne pas faire de distinction entre les messages transmis et la volonté de faire « acte artistique » au sein d’images aussi pertinentes que variées. L’exposition offre ainsi l’occasion de faire le point sur les différents langages, signes et usages, du paysage en photographie, qui s’édifie et se construit sur les mutations de notre environnement urbain.
Au cœur de la République de Chine, Edward Burtynsky, représenté par deux images de la série Oil, photographie l’immense chantier du Barrage des Trois Gorges, sur le Yang Tsé Kiang, dans la province de Hubei. En quelques mois, les autorités rasèrent villes et villages, sur un territoire plus vaste que la moitié de la France, et déplacèrent 1,2 millions de personnes, pour créer un lac attenant de 600km de long. Il s’agit de la plus grande évacuation de population, jamais réalisée en temps de paix.
Littéralement labourée, la ville, prise sous un format grand angle, étale ses amas de poutres et de béton broyé, en un vaste champs gris, tel un retour à une géologie primaire du sol. Sur les décombres s’installent des campements précaires, qui ponctuent l’image de toiles à rayures, symboles des derniers toits, des derniers travailleurs, avant l’ouverture de l’eau, avant la catastrophe calculée, l’extravagance d’un plan urbain, qui a décidé de commercer avec le temps, et avec la mémoire des hommes. Before the flood, l’autre titre de la série, représente déjà un monde englouti.
Dans l’univers absurde de Lewis Carroll, on faisait les procès avant de commettre les crimes, et on sélectionnait les souvenirs sur les évènements à venir. De la même façon, la Chine de Burtynsky construit son histoire sur un ressac du futur, et ses décors s’effondrent pour bâtir de nouvelles ruines (*).
Autre travail sélectionné pour le prix Pictet : The World’s Edge -The Atlantic Basin Project de Thomas Joshua Cooper qui, en 1987, se lance dans le projet fou de répertorier et de photographier toutes les extrémités des terres et des îles qui entourent l’océan Atlantique. Vague écho aux premiers cartographes des côtes, l’expérience se transforme très vite en une déprise du monde où on ne localise plus rien, où rochers, mers et horizons se répètent, et où l’écume prend la forme d’un nuage. C’est une sensation assez étrange lorsque la vision se brouille, et qu’une vue en plongée se confonde avec une autre, en contre plongée. Par des images plus météorologiques que descriptives, le photographe constate, avec ironie, que la mesure du monde n’est décidément pas à la portée de l’homme.
Dans Snow Management, Jules Spinatsch observe les moyens extraordinaires disposés par des stations de ski pour lutter contre la fonte des neiges et assurer un bon rendement des pistes. Il produit la série, peut-être la plus originale et étonnante de l’exposition, où la technique se déploie en de larges pertes d’énergie, pour percer les ténèbres et inverser l’évolution climatique.
Enfin, notre regard a retenu deux séries : In Katrina's Wake: Portraits of Loss from an Unnatural Disaster, et Intolerable Beauty : Portraits of American Mass Consumption qui montrent un monde où les vanités « ordurières » ont remplacé de manière désordonnée les bosquets fleuris... En photographiant les conséquences du cyclone Katrina, dans la Nouvelle Orléans, Chris Jordan observe les paysages hybrides créés par la société de surconsommation, qui a relégué ses déchets et ses rebuts, sans le vouloir, sur des terrains inattendus de notre urbanisme conquérant. Dans des images proches de celles de Roy Arden, un frigo projeté sur le rebord d’une autoroute devient subitement un élément planté dans le décor au même titre qu’un arbre. Un fauteuil, ailleurs, pris dans un grillage, trouve la recette d’un nouvelle équation formelle, en prenant les caractères d’un objet aérien.
Chris Jordan nous convainc que le déchet n’est jamais dépourvu de beauté esthétique. Eternel discours baudelairien où la fleur du poète n’est parfois qu’une branche maladive. Une imagerie, au final, qui ne s’acclimate jamais à un sentiment de bienveillance. En effet, depuis quelques années déjà, les artistes ont pris l’habitude d’expérimenter dans le paysage un versant plus obscur, un romantisme effrayant, qui prolonge les scénarios S.F. d’un JG. Ballard, en réalités authentiques, et nous bascule, tel un théâtre d’ombres, vers les mauvais reflets du self-consciousness. Le romancier anglais n’avait pas tord de croire en la pérennité de son art.
Le Jury composé par Régis Durand, Francis Hogson, Peter Aspden, Leo Johnson, Richard Misrach, Loa Haagen Pictet, et le cinéaste Abbas Kiarostami ont remis le Prix Pictet, hier soir, au canadien Benoit Aquin. Nous ne pouvons que vous conseiller à aller découvrir son oeuvre.
Site du Prix Pictet : www.prixpictet.com
(*)Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles. De l’autre côté du miroir, folio classique, Paris, 1994, p.254-255.