La photographie s’en ira-t-elle à l’école ?
Par Michel Poivert le mercredi 28 janvier 2009, 23:19 - Politique culturelle - Lien permanent
Le lieu est symbolique à plus d’un titre : c’est à l’Académie des Beaux-arts que le Haut Conseil à l’Éducation Artistique et Culturelle, à l’invitation de l’académicien photographe Yann Arthus-Bertrand, a tenu aujourd'hui une séance plénière sur le thème de la place de la photographie dans l’enseignement. Symbolique parce que cette institution fut dès ses origines proche des positions des artistes photographes (la défense de Bayard contre Daguerre) mais surtout parce que l’Académie a décidé d’ouvrir voilà deux ans une section de photographie. Symbolique enfin que ce soit un lieu marqué par le sens de la tradition plutôt qu’une officine plus expérimentale qui soit choisie comme symbole. Qu’importe, portée par son Secrétaire perpétuel Arnaud d’Hauterives, l’académie qui a vu naître l’an dernier un Prix de la photographie s’offre comme un espace de dialogue, il convient, en ces temps de vache maigre, d’y voir une opportunité pour interroger l’État sur ses intentions.
Le ministre de l’Éducation nationale a donc ouvert la séance avec un propos liminaire plein de bonnes intentions, se réjouissant qu’en ces périodes chahutées, le HCEAC soit une instance de débat pour l’avenir. Après avoir rappelé les principes de l’intégration de l’enseignement des arts à l’école (le pluriel est la marque de fabrique du projet) et affirmé qu’il s’agit là d’un « combat social et culturel » (contre les inégalités), le ministre a indiqué l’importance de l’éducation à l’image et mentionné la convention récemment signée avec les Amis de Magnum Photo dont la structure d’enseignement (« Bal ») ouvrira bientôt ses portes. Ce discours portait indéniablement la marque de l’action entamée par Marc Ladreit de la Charrière, chef d’entreprise, mécène et académicien, créateur de la fondation Culture et Diversité, mécène du Prix de la photographie de l’Académie et enfin des Amis de Magnum Photo.
Présidé par Didier Lockwood, la séance du HCEAC avait sollicité quatre intervenants ainsi que nombre d’invités du « monde de la photographie », de l’éducation et plus largement de l’image. Jean-Yves Moirin, inspecteur général au ministère de l’éducation nationale (Arts Plastiques) a rappelé l’ensemble des actions de l’État dans le domaine de l’enseignement de la photographie. En filigrane (et aparté) il laisse clairement entendre qu’un projet bien cadré permettrait de saisir l’opportunité d’inscrire la photographie, aux côté de la danse et même aujourd’hui du cirque, dans l’enseignement des arts à l’école. L’enjeu est donc de taille : aucun déterminisme n’existe en faveur de la présence de la photographie en tant que telle aux côtés des autres arts, il faudra pour l’y implanter un projet pédagogique large et structuré. Mais les acteurs du champ photographique y sont-ils prêts ?
J’ai pour ma part présenté l’expérience de l’enseignement de la photographie à l’université. Rappelant la fonction de généraliste du « spécialiste » de photographie en histoire de l’art, le caractère essentiel d’une lecture de l’art moderne à partir du modèle photographique, la rupture avec une tradition de la critique de la modernité ne voyant dans l’image qu’un facteur d’éloignement du monde, le rôle d’une bonne compréhension de la « technicité », la largeur du spectre des objets d’étude (du vernaculaire à l’art en passant par la science). J’ai également insisté sur les outils à développer pour les enseignants tel que les manuels et le rôle d'une collaboration active avec les musées. Enfin, j’ai indiqué l’importance, à l’heure des nouveaux usages de la photographie numérique, de prendre en compte les « futurs blogueurs » que sont les écoliers et collégiens - véritables journalistes-citoyens en herbe - et de former leur sens critique. Sur la question de l’art contemporain, j’ai tenu à indiquer que si ce dernier avait fourni le lieu de la consécration sociale du photographe depuis une génération, il semblait que désormais la grande tradition des « causes » devenait un nouvel espace de reconnaissance et de pratiques que l’enseignement devait prendre en compte.
A ce stade, certains invités se sont exprimés sur des aspects divers et variés, beaucoup vantant leur propre conception de la photographie, d’autres le caractère édifiant de leur existence ou bien encore, plus prosaïquement, les mérites de leur activité dans tel ou tel domaine. La conversation « sur la photo » a bien fait apparaître ce que d’aucun n’ignore : le « milieu » de la photographie est profondément hétérogène dans sa vision des choses, parfois hostile dans ses composantes (les théoriciens d’un côté, les praticiens de l’autre, la lecture administrative, le goût de l’empathie). Il fallait donc tenter de poser un cadre sur tout cela… Le rapporteur général du HCEAC me glissa à l’oreille que cela allait être un peu « rockn’roll ». Il avait raison.
Les interventions de Marie Muracciole (Jeu de Paume) et Patrick Talbot (Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles) ont montré une facette exigeante du rapport à l’œuvre mais aussi la nécessité d’une pensée pédagogique. La matinée avançant, certaines conceptions se sont fait jour, plutôt acquises à un certain pragmatisme et faisant, sous couvert d’une nécessité d’éduquer le regard des enfants, une place confuse à la photographie : parlait-on désormais d’un outil voire d’un simple support pédagogique ? Ou bien la photographie devait-elle bien s’entendre comme l’objet de l’enseignement (pratique et théorique) ? Pour avoir posé cette question de cadrage, il m’a été répondu qu’on ne pouvait dissocier les deux. Pour mon compte, il s’avère certes bien compliqué de dissocier un vecteur d’un objet dans le cas de la photographie, mais sur le plan d’un projet pédagogique, il me semble néanmoins clair qu’il s’agit d’enseigner la photographie et non de semer la confusion dans l’esprit des scolaires (« tu vois mon petit, l’illustration de ton manuel c’est de la photo, mais ça représente aussi l’œuvre d’un grand photographe… »).
Sous les ors de la République, nous étions donc à Byzance. Byzantinisme toutefois bien trivial, où l’on se questionnait beaucoup sur le rôle des « résidences d’artistes » photographes à l’école, sans mentionner, comme si la rue était bien loin de nous, la suppression des postes d’enseignants et le rôle quelque peu ambiguë que l’on ferait jouer aux artistes alors que les professeurs d’arts plastiques viendraient à manquer.
Au final, le monde de la photographie qui se trouvait ainsi composé illustra le bégaiement de l’histoire : allait-on recommencer tout à zéro dans les lieux mêmes qui virent les origines de la photographie ! Dans ces cas-là, chacun retrouve des alliés de circonstances et devant le peu d’aspects concrets de la séance, on eut l’idée de créer une commission. Si l’énergie ne m’avait manqué, j’aurais eu plaisir à rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le ministère de la culture avait créé un Conseil national de la photographie. Il s’est réuni une fois, lors de sa fondation. Il aurait pourtant eu toute son utilité pour penser la question du jour.
Le problème réside en fait dans l’ampleur et la responsabilité d’une telle question – l’enseignement de la photographie à l’école – face à un microcosme habitué à gérer ses intérêts les plus divers et parfois contradictoires. A mon sens, les instances en charge de ces grandes décisions (les spécialistes de la pédagogie dans les ministères) économiseraient beaucoup en travaillant sur la base des acquis dans le domaine de l’enseignement des autres arts. Non qu’il convienne d’ignorer les acteurs du monde de la photographie mais soyons sérieux : si nous parlons d’enseignement, ce métier a des règles et des principes, scientifiques et administratifs, l’ouvrir à la discussion est fort bien, encore faut-il (et le rapport montre que d’autres domaines des arts sont à la hauteur) que l’on trouve en face générosité et rigueur.
Le profond sentiment de ne pas en être n’a jamais cessé de me poursuivre. En sortant quai Conti, j’avais le goût amer d’une défaite. Décidément, c’est toujours un peu "contre" la photographie que l’on construit son histoire même.