L’ART PUISSANCE SECONDE D’ERIC RONDEPIERRE
Par Muriel Berthou Crestey le dimanche 26 avril 2009, 16:44 - Expositions - Lien permanent
© Éric Rondepierre - Duel (Parties communes) Ilfochrome sur aluminium, 100 x 133 cm 2005-07
Fusionnant les médiums (cinéma / photographie) et les temporalités, Eric Rondepierre peaufine, depuis les années 1990, un vaste chantier de dissection d’images les déplaçant d’un cadre à un autre selon le principe du remontage. Pour ceux qui n’auraient pas vu sa rétrospective berlinoise l’an passé, la Fondation Ecureuil (Toulouse) offre une séance de rattrapage, enrichie d’une toute nouvelle série (2008) que l’on a plaisir à découvrir jusqu’au 25 avril. Avec l’exposition « Images Lumière », le pari du commissaire Denis Riout était double : surenchérir dans la convocation du regard à 200 % sans esquiver l’unicité d’une approche chronologique. Challenge réussi.
Images abîmées / abymées ? En admettant le principe de corrosion comme un élément constitutif de l’œuvre, « Précis de décomposition » et « Moires » succèdent à la série devenue mythique des « Excédents » qui a propulsé la carrière de plasticien d’Eric Rondepierre, faisant suite aux diverses activités universitaires et artistiques déjà entreprises. Le caractère fugace des images filmiques dont il s’empare interdit leur perception en temps réel, sinon par l’usage détourné du magnétoscope. Seul surgit le sous-titrage de ces monochromes noirs puis colorés. « On n’y voit rien » dixit Daniel Arasse. L’œil vigilent de l’artiste a su déceler le potentiel esthétique d’images latentes, « en souffrance » comme l’un des protagonistes de son roman « La Nuit Cinéma » évoquait « des yeux fermés plein les poubelles et plein les archives qui attendent d’être ouverts ». Métamorphosées, les images exhumées des cinémathèques multiplient les zones d’indéterminations, mettant à l’épreuve notre pulsion scopique. Présentées sous forme de tableau synoptique, les « Trente étreintes » (1997-99) rassemblent les photogrammes transfigurés sélectionnés parmi plus de mille extraits. E. R. choisit « ce que le temps fait de mieux ». Véritable transition, « Suites » et « Diptyka » juxtaposent deux images en opérant un réseau de correspondances visuelles.
Depuis les années 2000, Eric Rondepierre a fait évoluer sa pratique en intégrant ses prises photographiques aux reprises de vue cinématographiques. Tout en perpétuant au jour le jour son « Agenda » photo-biographique, il sème ici et là les pierres de sa mémoire, comme le petit Poucet les traces de son passage. Devenues palimpsestes, ses images sont des feuilletés de temps où l’épreuve subjective se superpose aux images prélevées du passé. Dans « Loupe/Dormeurs » (1999-2002), l’espace est saturé de signes qui s’interpénètrent pour créer un matériau visuel hybride. La réception de l’œuvre s’élabore alors en fonction de la distance émise avec elle. Le foisonnement de stimuli visuels sollicite un hyper-regard. Observer une de ces photographies, c’est nourrir l’espoir, au fil d’un long travail de patience, de déchiffrer la fine trame blanche du roman qui se détache en surimpression du fond iconographique. En 2005-07, la série des « Parties Communes » offre une incarnation fascinante au principe d’anachronisme, en entremêlant deux images appartenant à des temporalités différentes, permettant une symbiose entre réel et fiction. Un principe dont la récente série « Seuil » manifeste la quintessence. Souvent, deux personnes se croisent. Brouillant les repères, Eric Rondepierre nous transporte au pays des remakes. Incrusté au premier plan d’un montage visuel, l’écran noir avec sous-titrage blanc de son ordinateur permet un clin d’œil aux « Excédents ». La scénographie a le mérite d’avoir scellé visuellement cette continuité.
S’articulant sur deux niveaux, le parcours oscille entre l’obscurité des caves, faisant écho au passé de l’artiste, et la lumière du jour. Un voyage dans la quatrième dimension. « Les photogrammes sont de curieuses fenêtres et j’observe le contour équivoque de leur statut entre prodrome et souvenir » dit-il dans son dernier récit autobiographique, « Placement » (2008). En conclusion : l’entretien vidéo réalisé devant sa bibliothèque, ainsi qu’une sélection d’ouvrages de son choix, disponibles en consultation. Une belle exposition qui offre un panorama significatif mais non exhaustif de son œuvre. A compléter par d’autres clichés à Paris, au Brésil, et en Arles bientôt.
Expositions et contact :
www.ericrondepierre.com
"IMAGES LUMIERE", Fondation Espace Ecureuil pour l'art contemporain, TOULOUSE (France) 3 place du Capitole, 31000 Toulouse Du 4 mars au 25 avril 2009 Une exposition rétrospective d'Eric Rondepierre Commissariat : Denys Riout
PORTO ALLEGRE (Brésil) "REFLEXIO - imagem contemporânea na França" Santander Cultural, du 23 avril au 23 août 2009. Un choix rétrospectif de 16 pièces d'Eric Rondepierre (avec Valerie Jouve, Suzanne Lafont, Jean-Luc Moulène, Catherine Rebois et Patrick Tosani) (comm. Ligia Canongia) Catalogue
ARLES (France) Rencontres d'Arles (prix découverte) 7 juillet/ 13 septembre à la Grande Halle Un choix rétrospectif de 13 pièces d'Eric Rondepierre (commissaire : Louis Mesplé) Catalogue
PARIS, Galerie Isabelle Gounod, "Tracés" (exposition collective présentant les "Doubliners"), du 17 mars au 25 avril 2009. 13, Rue Chapon, 3ème arr.