Prix Nadar 2009 : la subversion des images
Par Michel Poivert le mardi 1 décembre 2009, 23:20 - Livres, revues - Lien permanent
Le prix Nadar décerné depuis 1955 par la Société des Gens d'Image a été attribué pour l'année 2009 à la publication édité par le Centre Georges Pompidou à l'occasion de l'exposition La Subversion des Images - Photographie, surréalisme, film. Contributeur du catalogue, je témoigne de la très grande exigence des équipes éditoriales du centre et du soin qui a été apporté à la reproduction des images. On livrera ci-après une note de travail préparatoire à l'introduction collective.
Longtemps marginale dans l’étude de la plus célèbre des avant-gardes du XXe siècle, la photographie constitue désormais une part notable de « l’activité surréaliste ». En dressant un premier corpus d’images dans les années 1980, les pionniers de l’histoire de la photographie surréaliste ont aussi ouvert une boîte de Pandore. En raison même du caractère quasiment infini des images que l’on découvrait peu à peu, il n’y avait pas lieu de définir une « photographie surréaliste », mais bien d’examiner la nature du lien qui relie surréalisme et photographie.
Ce lien a fasciné toute une génération qui a hissé le rapport du surréalisme à la photographie au niveau des grandes questions de l’histoire de l’art du XXe siècle. L’exposition Explosante-fixe en 1985 au Centre Georges Pompidou traduit ce tournant : le surréalisme devient une question d’image photographique. Comment une telle focalisation sur la photographie est-elle devenue possible, alors même que le surréalisme apparaît irréductible à toute « spécialisation » ? La question photographique acquiert alors, dans le contexte large du postmodernisme, ses lettres de noblesse. La photographie devient exemplaire des pratiques créatives situées en dehors de l’Art et qui, par cet écart même, en redessine les frontières.
Dans les années 1980-1990, le « photographique » forme la nouvelle grille de lecture au travers de laquelle se redistribuent les valeurs de l’œuvre d’art. Une place importante est désormais faite à la notion de « document », qui n’est pas étrangère à l’intérêt suscité par les images publiées dans la revue éponyme de Georges Bataille mais aussi à un corpus désormais élargi de photographies au caractère transgressif. Ce juste retour de « la part maudite » du surréalisme s’est peu à peu enrichi des méthodes de l’histoire culturelle. La notion de document s’accompagne ainsi d’une prise en compte des pratiques amateurs , ou bien à l’inverse de productions publicitaires, de travaux d’édition et d’essais de laboratoires. Si l’aura du document tend à s’estomper, c’est au bénéfice de la réévaluation d’un corpus dont on découvre, sous une apparence parfois ludique ou triviale, le caractère réfléchi. Une économie généralisée de la photographie se laisse alors discernée, traversant les courants jadis hostiles du surréalisme, dépassant les définitions toujours restrictives de la photographie.
Indifférents au mythe du progrès, les pratiques et les usages de la photographie dans le surréalisme remontent aux origines d’un culte moderne (baudelairien) des images. Ce rapport passionnel aux images forme un épisode décisif des rapports entre l’art et la culture. La subversion des images aura probablement été l’une des grandes batailles pour imposer à l’ordre social des représentations la puissance de la liberté créative. L’image est alors comprise comme la conquête des représentations collectives par l’imaginaire. Ce n’est pas un discours critique ou parodique qui domine le rapport du surréalisme aux images photographiques. Celles-ci ne sont pas conçues comme un moyen de nous séparer du monde mais d’en élargir l’expérience. Elles ne font pas encore l’objet de la suspicion généralisée auquel la soumettra le Situationnisme en identifiant les maux de la « société du spectacle ». La relation du surréalisme à la photographie apparaît aujourd’hui comme le paradis perdu des images.