La photographie : trésor de guerre ou art des temps de crise ?
Par Michel Poivert le mardi 8 mars 2011, 10:05 - Politique culturelle - Lien permanent
Paris a célébré l'automne dernier le 30eme anniversaire du « Mois de la Photographie », festival organisé par la municipalité de la Capitale. Des dizaines d’expositions dans les galeries d’art, les musées, les centres culturels, la foire Paris-Photo - plus grand rendez-vous des collectionneurs - ont marqué l’événement. Comme le festival, la photographie contemporaine a 30 ans, le tout début des années 1980 marquant l’arrivée de ce médium dans le domaine de la création contemporaine. Certes, les artistes ont fait usage de la photographie dès le 19eme siècle, mais la légitimité artistique de la photographie est récente. Elle correspond – et compense ? – la fragilité des images d’information touchées par la crise lancinante du photojournalisme. La concurrence de la télévision et les modifications profondes apportées par la technologie numérique, la collusion entre information et communication, ont peu à peu jeté le doute sur les pratiques de reportage. Tant et si bien que sont apparus, depuis plus d'une génération, des « auteurs » qui revendiquent une photographie subjective et affirment leur talent en visant l’exposition plus que la publication. Ils ont été peu à peu débordés par des revendications plus directement artistiques encore. Si l’on voulait caractériser le profond changement dans le domaine photographique depuis 30 ans, on pourrait avancer que le lieu de la consécration sociale du photographe est passée du domaine de l’information à celui de l’art contemporain. Aujourd’hui, en effet, les grands photographes sont au musée et non à la une des journaux.
Le succès culturel de la photographie correspond aussi à un certain état économique. Cette inflation des expositions de photographies dessine en creux un temps de crise : moins coûteuses que les expositions de peinture ou de sculpture, elles assurent en général à ses organisateurs un bon succès public. Il faut en effet revenir sur une idée reçue : après les spéculations des années 1990, la photographie n’atteint plus des prix faramineux. La cote des images patrimoniales s’était envolée dans un contexte particulier, celui des grandes ventes des collectionneurs d’Après-guerre (et notamment celle d’André Jammes) qui ont révélé de véritables chefs d’œuvres. Mais les esprits se sont apaisés, et même une épreuve du grand Gustave Le Gray (1820-1882) n’atteint que rarement des centaines de milliers d’euros. D’autre part, les artistes contemporains qui se servent de la photographie et dont la cote s’est envolée sont très rares (une dizaine tout au plus, comme l’Américaine Cindy Sherman ou le Canadien Jeff Wall). L’éclatement de la bulle spéculative de la photographie de collection au milieu des années 2000 a eu une double conséquence : d’un côté elle a maintenu l’activité forte de la photographie dans le champ culturel en permettant d’organiser des expositions pour des budgets modestes, mais de l’autre elle a brisé un rêve.
Ne parlait-on pas en effet, il y a dix ans encore en pensant au patrimoine photographique des institutions françaises – la Bibiothèque nationale de France possède plus de 7 millions de photographies – d’un nouvel or noir ? On imaginait au regard des fastueuses enchères que la valorisation des collections publiques allait capitaliser un trésor insoupçonné. Mais la réalité est différente : conserver dans de bonnes conditions, restaurer, numériser, traiter scientifiquement les inventaires coûte plus qu’il ne rapporte en raison des masses d’images concernées. La vision patrimoniale ne peut pas se concentrer sur les seuls grands noms, elle se doit de valoriser l’ensemble des photographies. Aujourd’hui, le ministère de la culture a mis en place une énième mission chargée de penser une politique de la photographie, elle est face au paradoxe rapidement décrit : un public désormais présent dans des expositions certes moins chères à produire que les autres manifestations artistiques, mais une réserve patrimoniale qui nécessite des moyens considérables pour alimenter cette « photophilie » sur le long terme.
(article publié dans http://www.univ-paris1.fr/Flipbooks/LefildePar1s/n9/)