Geert Goiris : “Imagine there’s no countries”
Par Muriel Berthou Crestey le lundi 2 novembre 2009, 19:00 - Expositions - Lien permanent
Faisant écho à l’hymne rêveur de John Lennon enregistré en 1971, l’exposition monographique de Geert Goiris présentée au Crédac (Ivry) consolide son intention d’extrapolation documentaire, développée depuis 2000 avec la série éclectique « Résonance ». Différentes vues - toutes réalisées à la chambre - ont été prélevées ça et là, offrant un éventail de ses productions. Les œuvres présentées jusqu’au 8 novembre fondent la cohésion de ce travail autour des terres de mirages, propices à d’étonnants phénomènes visuels. Présentée pour la première fois en France, la collection de « Whiteout» restitue notamment une expérience optique hors du temps et de l’espace.
Selon Geert Goiris, « le spectateur qui entre dans une exposition est déjà en état de vigilance, dans un état d’esprit qui est similaire à celui qu’il essaie d’adopter lorsqu’il prend des photos ». Et il résume : « Nous sommes ainsi, tous les deux, essentiellement dans un mode réceptif, solitaires mais perméables ».
Réinvestissant les paysages de prédilection des « land artists », Geert Goiris partage avec les installations délicates ou les lancers d’Andy Goldsworthy le goût de l’image instantanément séduisante.
A défaut de pouvoir éprouver le saisissement de l’artiste perdu dans le tourbillon du « Whiteout », le spectateur peut néanmoins l’imaginer en utilisant les nombreux moteurs à illusion livrés avec l’œuvre. Dans les atmosphères figées de l’Antarctique, il arrive que la luminosité trop intense soit réfléchie par l’uniformité du sol opalin. Cela génère un éblouissement tel qu’il annule toute perception des reliefs. La photographie constitue alors le médium tout indiqué pour capturer cette « ophtalmie des neiges ».
De cette rencontre aveuglante entre brouillard et ciel blanc, on ne discerne presque rien, sinon quelques tracés ivoires ou grisés, déployant la diversité d’une gamme chromatique à la limite de l’imperceptible. L’aspect est lisse et onctueux comme de la meringue italienne. Transparent, l’encadrement mural joue à confondre les clichés avec l’étendue blanche de la cimaise.
En face, Geert Goiris a figé « trois soleils », immenses. L’image est prise sans aucun trucage. Certains lui reprocheront peut-être la facilité de faire de belles photos à partir de phénomènes naturellement magnifiques. Mais ces clichés ne se résument pas à leur dimension esthétique. Quand l’extraordinaire surgit au beau milieu des paysages de cartes postales, le rendez-vous avec l’« ineffable étrangeté » a lieu partout.
Au sein de l’accrochage, les stries perceptibles entre chaque raccord de papier anesthésient en partie la réception, empêchant toute plongée dans la continuité de l’espace. Est-ce un parti-pris de mise à distance volontaire ? Toujours est-il que l’artiste troque volontiers contre l’exaltation du sublime, l’expression d’une « réalité traumatique ».
Dans une salle contiguë, la série des « Jours blancs » est projetée cette fois sous forme de diapositives volontairement saturées de lumière, évoquant l’éblouissement de l’artiste au moment de la prise de vue. Œuvrer dans les territoires extrêmes génère une lourde implication physique. Le « Whiteout » n’en est, image-t-on, qu’un aperçu. L’expérience de cet aveuglement se vit au plus près, puisque l’artiste a choisi le matériel le plus enclin à susciter cette « folie du Jour » éclatante dont parle Maurice Blanchot : « telle était la vérité (écrit-il) : la lumière devenait folle, la clarté avait perdu tout bon sens ».
Le temps vacant entre le déclenchement des différentes projections génère des « entre-images ». C’est le moment où le spectateur aperçoit la seconde image avec le souvenir encore frais de la précédente, celui où ces deux représentations fusionnent dans la perception psychique qui les rassemble. Des espaces déserts côtoient des portraits d’hommes. Ici, une silhouette émerge de l’infini. Là-bas, des pas tracés dans la neige paraissent indélébiles.
A l’étage inférieur, c’est la même précision des détails qui submerge l’observateur devant les étendues marines. Par endroits, il croit même pouvoir discerner le flou de l’écume contrastant avec la précision du tracé des montagnes norvégiennes, immuables. Les reflux de la marée semblent dessiner des motifs psychédéliques. Dans ces perspectives atmosphériques, la lumière devient matière à travailler. Mais la configuration en pente des salles d’exposition brouille les repères, forçant le spectateur à poser un regard en surplomb des représentations de vallées.
Dans Slowfast (2007) les bolides rutilants s’intercalent aux vues champêtres, comme s’ils flottaient au milieu du cadre lunaire des déserts de sel qui les enveloppent. Enfin, l’attention du visiteur est surprise par quelques vues aux allures surnaturelles. Une table, en apesanteur. Un kangourou albinos nous observe.
Abolissant les frontières (géographiques et artistiques) entre les territoires, les images du photographe belge affirment une préoccupation écologique (« Ecologist place », 2006), tout en pointant la présence d’existences singulières, aux « quatre cents coins du monde » (ou plus…).
"Geert Goiris, Imagine there's no countries, du 9 septembre au 8 novembre 2009 au Crédac. Centre d'art contemporain d'Ivry - (93, avenue Georges Gosnat - 94200 Ivry-sur-Seine)"
Image : © Geert Goiris, Albino, 2003 Courtesy de l'artiste.
www.geertgoiris.info
www.credac.fr
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 14h à 18h, le week-end de 14h à 19h et sur rendez-vous
“entrée libre”
M° ligne 7, mairie d'Ivry (à 50 m du métro / 20 minutes de Châtelet)
Station Vélib : 1-3, rue Robespierre - métro Mairie d'Ivry (station double)